Suzanne Sebo
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Createddimanche 14 février 2021
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SUZANNE SEBŐ
Propos recueillis par Diane Moquet
Chaire ICiMa : Pourrais-tu présenter ton parcours et expliquer comment tu as rencontré le domaine du cirque ?
Suzanne Sebő : D’abord, j’ai fait des études d’architecture, que j’ai suspendues pour faire des études de scénographie à l’ENSATT.
A l’issue de mes études, j’ai travaillé avec un metteur en scène hongrois, Árpád Schilling. J’avais suivi une création de sa compagnie Krétakőr (La Glace mis en scène par Kornél Mundruczó) en tant qu’assistante de scénographe puis une autre co-création avec le Phun (Père Courage mis en scène par Ferraille et Árpád Schilling) en tant que traductrice, ma langue maternelle étant le hongrois.
Il était invité comme metteur en scène au CNAC en 2009 pour le spectacle de fin d’étude de la 21ème promotion et m’avait proposé d’accompagner le projet et la tournée. Cela ne s’est finalement pas fait mais je m’étais déjà rendue au CNAC et avais rencontré quelques étudiants pour la préparation du projet. J’ai aussi eu l’occasion de présenter à Árpád mon camarade de promotion de l’ENSATT, créateur sonore, Alexis Auffray, qui lui, a participé à la création de Urban Rabbits et suivi la tournée du spectacle.
De fil en aiguille, j’ai eu la chance de rencontrer certains circassiens de cette promotion du CNAC dont Marion Collé, Vasil Tasevski, Fragan Gehlker, Jean Charmillot, Matthieu Gary puis Fanny Sintès et la compagnie des Bekkrell. J’ai suivi leurs créations au fil du temps et j’ai été amenée à contribuer à ma manière à certaines créations, en réalisant des croquis, des illustrations d’affiches, de feuilles de salle, de flyers, etc. Ce travail a été plus loin avec Marion Collé, que j’ai eu l’occasion d’accompagner en tant que scénographe.
Ma rencontre avec le cirque, c’est d’abord une fascination, une rencontre humaine plus que technique.
Après quelques années, pendant lesquelles je travaillais comme scénographe et architecte en freelance, je suis partie vivre au Japon grâce à une bourse de recherche. Je m’intéressais depuis plusieurs années aux paysages industrialo-portuaires, sujet de mes deux projets de fin d’études – scénographie puis architecture – et j’ai ainsi pu approfondir mon exploration dans les ports japonais entre 2011 et 2015.
Les ports industriels sont restés en suspension, car en revenant j’ai commencé à travailler dans un bureau d’études de scénographie d’équipement qui s’appelle Architecture et Technique où je travaille encore aujourd’hui, dirigé par Jacques Moyal avec ses associées Carole Clerc et Adeline Hautot. Nous sommes une équipe de sept personnes et participons à la conception de salles de spectacles de différents types, tant au point de vue de l’envergure que de l’usage.
Nous sommes de plus en plus souvent amenés à intégrer aux salles des accroches circassiennes. Par exemple, nous travaillons en ce moment sur la rénovation du Fourneau à Brest, avec pas mal de recherches spécifiques pour les arts du cirque.
De par mon amitié avec des artistes de cirque, mes collègues me sollicitent parfois un peu comme si j’étais connaisseuse des accroches. Même si ce n’est pas encore le cas, cela me pousse à chercher de ce côté-là, à interroger les personnes que je connais et à analyser les solutions proposées dans différents lieux déjà existants. Aussi, j’ai eu l’occasion d’approfondir ma réflexion sur la scénographie du cirque à travers la rédaction d’un article sur Le Vide de Fragan Gehlker et Alexis Auffray, qui a été publié en décembre dans la Revue AS (Titre : « Sisyphe sur le tas »).
Chaire ICiMa : En quoi consiste le travail de scénographe d’équipement ? En quoi se différencie-t-il du travail de scénographe, et surtout d’architecte ?
Suzanne Sebő : C’est une question qui m’intéresse beaucoup puisqu’elle met en tangente mes deux métiers qui sont délicats à délimiter ou à définir. Le scénographe de « décor » (certain·e·s n’utiliseraient jamais le mot « décor ») travaille avec les artistes sur les « spectacles ». Il n’intervient pas à priori sur un équipement d’accueil. Cependant, la limite peut être floue, par exemple dans le spectacle de rue ou pour beaucoup de spectacles sans décor construit, peint ou fabriqué : l’œuvre récupère le lieu existant en tant que décor. À l’inverse, on peut aussi être amené, en tant que scénographe, à créer des équipements techniques nécessaires dans un lieu donné pour un spectacle donné : l’équipement technique devient alors le décor.
Pour résumer, on pourrait vulgairement définir le scénographe de spectacle comme la personne qui contribue à donner du sens à une œuvre dramatique à travers des éléments visuels et visibles, qu’il récupère, adapte, imagine et fabrique pour donner du sens à cette œuvre précise. Il travaille au service de l’œuvre et dans sa dimension éphémère.
L’architecte, quant à lui, est un concepteur de bâtiments, a priori de constructions pérennes. Il répond à une commande plus ou moins précise et jongle avec des normes, des usages, des données diverses, des contraintes multiples pour donner sa place à un bâtiment en dur et qui a vocation à durer dans le temps. Il s’agit évidemment d’une définition, personnelle et non exhaustive…
Je vais essayer d’expliquer un peu simplement la pratique de scénographe d’équipement, à travers mon expérience. Le scénographe d’équipement est dans l’équipe de maîtrise d’œuvre, donc il travaille le plus souvent avec un architecte.
Dans le cas, le plus fréquent, où l’architecte est mandataire de la conception d’un bâtiment, il s’entoure en général d’ingénieurs spécialisés, de bureaux d’études qui font partie de l’équipe. Il y a des bureaux d’études d’électricité, de fluides, de structure, chacun spécialiste de l’un des aspects de la machine-bâtiment. Il y a souvent des interactions, des interférences, et parfois même des incompatibilités entre les ouvrages projetés par les différents bureaux d’études, et l’architecte supervise, évalue, fait la synthèse de l’ensemble.
Il veille également à « coller » au plus près du programme et à préserver l’identité architecturale qu’il souhaite donner au bâtiment.
Donc, quand le bâtiment est une salle de spectacles, l’architecte s’entoure alors d’un scénographe d’équipement, c’est-à-dire d’un bureau d’études spécialisé dans la conception des équipements scéniques. Les bureaux d’études de scénographie traitent en général, plus ou moins, de trois grandes catégories de prestations :
- Les tribunes et fauteuils de spectacle ;
- L’électricité scénique : réseaux, coffret, branchements, matériel son, lumière, vidéo ;
- La serrurerie et la machinerie scénique, qui comprend tout ce qui est porteuses, équipements mobiles, passerelles, grils et faux-grils, tentures et accroches circassiennes.
On peut de plus en plus souvent ajouter une quatrième catégorie qui regroupe les équipements cinématographiques.
Ce sont donc les grands aspects que l’on traite principalement dans nos missions, avec aussi tous les conseils sur les usages courants des salles de spectacles.
Nous répondons le plus souvent à des appels d’offre publics concernant différents types de salle : cela peut être une salle multifonction, un auditorium, une salle de répétition, une salle de musiques actuelles, une salle à l’italienne, un chapiteau en dur, un amphithéâtre, etc.
Au niveau de l’envergure, cela peut aller d’un cinéma de soixante places à une Arena de cinq mille places.
Parfois, il s’agit de rénovations, d’autres fois de constructions neuves, ou bien encore de réhabilitations. Dans la plupart des projets sur lesquels nous travaillons, les appels d’offre sont lancés par des collectivités publiques.
Chaire ICiMa : De même qu’il peut y avoir une plus forte demande d’accroches circassiennes, y a-t-il du côté des salles une tendance à aller vers le modulable, ou au contraire vers les gradins en dur ?
Suzanne Sebő : Il y a une assez forte tendance à aller vers le tout modulable, même s’il existe encore des programmes de salles en dur avec des équipements traditionnels. C’est par exemple le cas d’un chantier que nous menons actuellement à Garges-lès-Gonesse pour un pôle culturel neuf, avec un auditorium qui comporte un gradin en dur.
La possibilité de moduler les salles dépend du type de projet d’exploitation. Il y a une tendance à demander la plus grande modularité possible, afin de pouvoir accueillir beaucoup de types de spectacles différents dans un même lieu. On appelle souvent ces lieux des salles multifonctions. Elles ont la plupart du temps des tribunes télescopiques, ces systèmes à tiroirs, que l’on peut replier ou déployer et avec lesquelles on peut réaliser différentes configurations de jauge.
La Manufacture des Œillets à Ivry est un bon exemple de salle très modulable. En plus de plusieurs blocs assemblables de tribunes télescopiques, des parties du plancher sont mobiles afin d’être surélevées. On peut donc obtenir par juxtaposition des blocs de tribunes, et un gradinage traditionnel de quatre cents places. Ou bien on peut au contraire utiliser la salle comme une grande boîte noire à plat, avec des blocs de gradins disposés en bifrontal par exemple, ou sans aucun gradin.
Dans les salles que l’on appelle « multifonctions » ou dans les salles dites « polyvalentes », on se trouve parfois face à de vrais casse-têtes car les dispositifs entièrement modulables sont soumis aux nombreuses réglementations qu’il faut étudier pour chaque configuration.
Pour donner un exemple, la question des sorties de secours et des unités de passage doit être étudiée pour toutes les configurations du public, afin que les jauges, les places PMR et les dimensions des circulations soient aux normes.
La manutention des éléments modulaires engendre aussi un certain nombre de complications. Plusieurs régisseurs se plaignent que l’excès de modularité rend chronophage le moindre petit montage.
Chaire ICiMa : Comment ton travail de scénographe d’équipement s’articule-t-il avec le travail des directeurs techniques des salles dans lesquelles tu interviens ?
Suzanne Sebő : C’est une question pour laquelle je vais avoir du mal à être synthétique, car chaque projet est assez singulier, la place du directeur technique est différente à chaque fois. Il y a bien sûr idéalement un dialogue, puisque c’est le directeur technique qui va recevoir l’équipement que nous concevons. Il en sera l’utilisateur. Mais pour expliquer la place du directeur technique, il peut être utile de rappeler comment se développe un projet de bâtiment public, et se pencher en particulier sur son montage administratif.
En essayant de simplifier : pour un appel d’offre public, les commanditaires sont très souvent les mairies, donc les maires ou bien une collectivité publique.
À l’intérieur des mairies il y a un service culturel, un service des bâtiments, un service technique, un service budgétaire, un service juridique, etc. Ces différents services mettent leurs expertises en commun pour formuler le projet, son contenu, son budget, sa philosophie, etc.
Afin d’accompagner ce commanditaire appelé communément Maitrise d’Ouvrage, un programmiste intervient souvent. Ce dernier va formuler les souhaits de la commande, rédiger ce qu’on appelle un programme de manière cohérente et plus ou moins détaillée, qui fera office de cahier des charges. Le programmiste traduit donc les ambitions de la Maitrise d’Ouvrage – mairie ou collectivité –, pour permettre à la maîtrise d’œuvre – l’architecte, les bureaux d’études dont nous scénographes – d’étudier puis réaliser le projet.
Quand on conçoit un bâtiment en dur et surtout dans le cadre d’un appel d’offre public, il y a des étapes assez cadrées à suivre, qui guident le dialogue entre Maitrise d’Ouvrage et Maitrise d’Œuvre. Les échanges sont rythmés par différentes phases de rendu de projet, où celui-ci est élaboré de plus en plus précisément au fur et à mesure de l’avancement des études. Cela peut se passer ainsi par exemple : après avoir gagné le concours qui présente une esquisse du projet, toute l’équipe de Maitrise d’Œuvre avance phase par phase pour préciser le projet, jusqu’à la phase la plus aboutie qui est le Dossier de Consultation d’Entreprise, DCE. C’est à partir du DCE que les appels d’offres sont lancés pour les entreprises concurrentes à la réalisation du chantier.
Concernant le directeur technique, tout dépend de la place qui lui est attribuée par la Maitrise d’Ouvrage et de l’engagement qui lui est possible. Il peut intervenir et prendre part à l’élaboration du projet à des moments très différents selon les projets, et selon son poste, il peut être plus ou moins engagé dans ce processus d’élaboration.
Pour certaines rénovations, comme par exemple le Théâtre de la Ville, le directeur technique suit de très près toutes les phases du projet ainsi que le chantier. C’est un véritable partenaire de la Maitrise d’Œuvre.
Alors que pour d’autres projets, il intervient parfois très tardivement, il arrive même qu’il reçoive le bâtiment clé en main après sa construction. Autre cas fréquent : le changement du directeur technique pendant le processus de conception ou de réalisation du projet.
En nous positionnant en tant que scénographe d’équipement, nous sommes un peu comme un funambule : il faut trouver un équilibre et une ligne claire et cohérente, au milieu de tous les changements, et maintenir cette ligne sur la durée du projet qui peut prendre quatre, cinq, six ans ou plus entre le rendu du concours et l’inauguration du bâtiment.
Ce qui m’intéresse personnellement dans le métier de scénographe d’équipement – et c’est presque utopiste – c’est de me questionner sur ce qu’est un lieu d’accueil de l’art vivant. Tout d’abord, c’est quoi le lieu pour l’art vivant ? Quels outils, quels espaces, quelles articulations ? C’est finalement aussi une question politique. Dans la pratique, il faudrait idéalement arriver à maintenir cette question à la surface, et ne pas la laisser se dissoudre dans l’énorme complexité administrative, bureaucratique qu’est la création d’un équipement culturel.
Chaire ICiMa : Depuis ton regard d’architecte et de scénographe, quelles sont les spécificités d’un espace de cirque ? En quoi sont-elles stimulantes pour toi ?
Suzanne Sebő : Il faudrait déjà définir ce que c’est que le cirque pour essayer de définir les spécificités de l’espace du cirque. Je ne me lance pas pour l’instant dans un exercice de définition.
Personnellement, il y a deux choses qui se sont télescopées et qui, je crois, fondent mon rapport à l’espace du cirque.
D’une part, il y a des rencontres et relations humaines dont j’ai parlé tout à l’heure, et donc l’exemple de ces pratiques dont j’ai eu la chance d’être témoin.
D’autre part, il y a toute ma recherche sur les ports industriels, que j’ai fait pendant mes études, puis au Japon.
La machinerie portuaire a, pour moi, beaucoup de correspondances avec la machinerie théâtrale. Sauf que l’absence d’humains, le peu d’indicateur de l’échelle humaine et la cinétique à grande échelle, une certaine démesure, appellent à des pratiques extrêmes qui pour moi sont sollicitées par les arts du cirque. Je vais essayer d’expliquer un peu plus cette imbrication.
À l’ENSATT, mon sujet de mémoire de diplôme était « L’espace de l’errance, éprouvée, racontée et transmise ». Ce thème s’est développé suite à ma première « rencontre » portuaire à Buenos Aires. Puis quand j’ai repris mes études d’architecture, j’ai passé mon diplôme sous la direction de Xavier Juillot, qui a présenté toute sa vie des installations à cheval entre le spectacle vivant, les arts du cirque, les arts de la rue, les arts plastiques et l’architecture. Son travail et sa recherche s’articulent autour des grandes échelles, et il a en particulier mené des expérimentations plastiques avec des machines-outils de port industriel (grues, portiques). La simultanéité de mes rencontres avec des circassiens, en parallèle de travaux liés aux paysages portuaires, a fondé ma vision de l’espace circassien.
C’est-à-dire, c’est un espace du possible dans l’impossible, de l’accessible dans l’inaccessible.
En termes plus symboliques, la correspondance du travail circassien avec le monde du travail industriel m’apparait très intéressante également. J’ai aussi trouvé chez les artistes de rue ce côté où art et travail technique sont intimement mêlés, indissociables. Et c’est aussi le propos, par exemple, de Fragan Gehlker dans Le Vide. Il y a un éternel recommencement, et un détournement de toutes choses matérielles par le corps à corps entre l’humain et le bâti, l’acharnement au travail, l’éternel recommencement d’un même essai. Avec le cirque, on touche au dépassement ou sublimation de l’humain et en cela, n’importe quel espace peut être celui du cirque.
Et puis il y a l’enjeu de la troisième dimension spatiale, l’axe Z, l’ascension possible, l’affranchissement du plan du sol, la recherche d’ancrages différents, les pieds de nez à la gravité.
Les circassiens peuvent pratiquer des espaces où je ne peux pas me rendre parce qu’ils ont les capacités physiques, techniques et artistiques de réaliser ces prouesses : le pouvoir de monter en hauteur, de traverser des vides, de s’accrocher à presque rien, de voler, d’exister sens dessus-dessous, autrement, d’occuper de mille manières l’espace dans ses trois dimensions.
Les spectacles du Groupe Bekkrell et en particulier le spectacle L’effet Bekkrell m’ont beaucoup intéressés pour l’exploration de tous ces aspects-là, m’inspirant la métaphore d’une recherche essentielle de liberté. Les quatre femmes travaillent sur le changement de dispositif rapide de leurs agrès. Elles refont les accroches, les dispositifs, en l’espace de quelques secondes et tout le long du spectacle et pratiquent l’espace sous toutes ses coutures.
Chaire ICiMa : Lors des collaborations avec des artistes de cirque, comment se déroulait le processus de création ? À quel moment intervenais-tu ?
Suzanne Sebő : Concrètement, en tant que scénographe à proprement parler, les seuls spectacles de cirque pour lesquels j’ai collaboré sont des spectacles de Marion Collé. Les autres collaborations avec des artistes de cirque restent graphiques.
Mais scénographie ou autre, cela passe de toute façon d’abord par le dessin.
J’ai l’habitude de me rendre aux répétitions ou aux spectacles, et de faire des croquis rapides. Cela me permet de rentrer en connexion avec l’univers des artistes, de capter des postures, des gestes, des attitudes et c’est là le point de départ.
La scénographie, dans Blue de Marion Collé, c’était très peu de dispositifs matériels : il y avait le fil, quelques éléments au sol, un toile de projection vidéo et une sorte de bande blanche dans le fond qui indiquait la verticale.
J’étais présente, dessinais, parcourais ses carnets, discutais. Je l’ai peut-être accompagnée dans la formulation ou la fixation des choses, en réalisant une maquette pour qu’elle puisse communiquer avec les structures d’accueil, et des croquis.
La collaboration avec les artistes est un partage d’imaginaires.
Quand ils me demandent de faire des illustrations, cela me permet d’exprimer ce que je vois à travers ce qu’ils font, ce que je vois dans leur art.
Avec Porte27, je l’ai fait à travers plusieurs affiches, flyers, collages, dont une grande affiche qui était censée représenter la compagnie. C’était comme traduire en une seule image l’univers de trois artistes. Cet échange-là est un vrai plaisir pour moi, et peut-être aussi pour eux parce qu’il donne une autre vision de leur travail que ne le ferait une photographie par exemple.
Vasil Tasevski de son côté m’a demandé de faire des dessins pour représenter ce qu’il imaginait pour I woke up in motion, et l’adapter à des lieux particuliers. Quelquefois, les artistes ont besoin que je représente leurs idées rapidement par le dessin, pour pouvoir communiquer avec d’autres sur leur projet et vérifier qu’eux-mêmes voient bien ce qu’ils voient. J’adore cet exercice.
Chaire ICiMa : Pour les artistes avec lesquels tu as travaillé, leur agrès était donc leur scénographie.
Suzanne Sebő : Oui c’est tout à fait comme cela que je le perçois, même s’il y a plein d’autres réalités. Leurs agrès sont leur scénographie, ensuite ils les disposent dans l’espace selon leur propos et ils savent très bien le faire. Dans Le Vide, on peut dire qu’il y a une scénographie assez complexe. C’est un dispositif circulaire, avec le public autour et des cordes au centre : l’espace est clairement défini. De même pour Chute de Matthieu Gary et Sydney Pin, il y a toute une réflexion sur le rapport entre le public et les artistes, l’allusion au ring révélée aussi par la lumière de Clément Bonin. Vasil Tasevski structure l’espace via une toile verticale. Jean Charmillot et Jérome Galant pour Vol d’usage ont construit leur spectacle dans leur propre chapiteau, avec une piste circulaire indissociable du spectacle. Tellement indissociable que lorsqu’ils ont joué au ThéâtredelaCité de Toulouse, ils ont monté leur chapiteau sur la scène. Tous ces circassiens que j’ai rencontrés ont le point commun d’avoir un dispositif scénographique parfois complexe dans leurs spectacles, et une réflexion sur la salle. Mais c’est comme organique, cela va de soi par rapport à ce qu’ils recherchent. Le dispositif scénographique est inséparable de leur travail circassien. Chiara Marchese, par exemple, est circassienne mais aussi scénographe, donc naturellement elle crée ses propres marionnettes pour ses créations.
C’est très organique chez les circassiens, l’espace et l’agrès font corps avec le corps – et c’est ce qui me plaît.