Vita Nova - Héla Fattoumi et Eric Lamoureux - 1999

VITA NOVA, spectacle de fin d’études de la 11e promotion du CNAC

 

 

Vita Nova est le spectacle de fin d’études de la 11e promotion du CNAC avec Chloé Duvauchel au fil, David Ferrasse au mât chinois, Gaëtan Levêque au trampoline, Mathieu Prawerman à la jonglerie, Osmar de Souza Pedro aux équilibres, André Mandarino et Luciane Viva Costa aux tissus, Thank Dinh Huynh (porteur) et Vân Anh Lê Trân (voltigeuse) aux portés acrobatiques, Chloé Moglia, Marc Pareti, Marlène Rubinelli-Giordano et Mélissa Von Vépy au trapèze.

 

Crée en décembre 1999, ce spectacle dont le titre pourrait être traduit par « Vie Nouvelle » fait moins référence au prochain changement de millénaire qu’au parcours des étudiant.e.s en scène, qui s’apprêtent à quitter le CNAC après trois ans de formation. « Il a été écrit pour des jeunes qui démarrent leur vie d’artistes et d’adultes. Nous avons voulu rendre la générosité et la vitalité qui leur correspond et leur faire le cadeau d’un spectacle solaire », explique Héla Fattoumi[i] qui co-signe la mise en scène et la chorégraphie du spectacle avec Éric Lamoureux. Les deux artistes se sont rencontrés lors de leurs études dans la filière éducation physique et sportive de l’université Paris Descartes. En 1988, ils fondent la compagnie Fattoumi-Lamoureux et acquièrent rapidement une reconnaissance internationale grâce à Husaïs (prix de la première œuvre au concours international de Bagnolet en 1990) et à Après-midi (prix Nouveaux Talents Danse de la SACD en 1991). Pour Vita Nova, ils s’entourent de personnes avec qui ils ont l’habitude de travailler – l’assistant à la mise en scène et à la chorégraphie Jean-Antoine Bigot est également interprète dans la compagnie, le compositeur-créateur sonore Christophe Séchet, la costumière Sandrine Pelletier, le scénographe Raymond Sarti et le créateur lumières Xavier Lazarini travaillent avec les « Fatlam » depuis 1992 (Miroirs aux alouettes), 1995 (Prélude) et 1996 (Solstice) –  et signent un spectacle hybride, entre cirque et danse.

 

 

 

UNE SCÉNOGRAPHIE HYBRIDE 

 

Couverte d’un tapis de danse jaune bordé de rouge, la piste de Vita Nova ressemble à un soleil rayonnant. Lorsque le spectacle commence, un trapèze, un fil et un mât chinois sont déjà installés. Habillé de bois blanc, le mur-trampoline installé en fond de scène ressemble à un escalier à trois marches. « Et puis on a introduit des objets parce que le cirque c’est aussi le rapport aux objets », explique Éric Lamoureux[ii]. Et en effet, en hauteur, entre les guindes et les câbles, on aperçoit des objets. Comme le mur-trampoline, ils sont composés de bois et d’acier. On distingue une grande échelle de corde, une espèce de plancher courbe, une sorte de tonneau sans fond, un étonnant assemblage de tubes tordus et un piquet en spirale. Au début du spectacle, ces éléments scénographiques signés Raymond Sarti ressemblent surtout à des installations d’art contemporain chargées d’assurer une certaine unité esthétique. Leur forme rappelle cependant certains agrès du cirque traditionnel : le trapèze pour l’échelle de corde voire les tubes tordus, la bascule coréenne pour le plancher courbe, la roue Cyr pour le tonneau sans fond et le mât chinois pour le piquet en spirale.

Et au fur et à mesure du spectacle, ces objets se transforment en véritables supports de jeux – au sens à la fois circassien et enfantin du terme. L’exemple du plancher courbe est particulièrement révélateur. Dans les airs, il dessine une forme lunaire. Sur la piste, il devient successivement un pont, une bascule, un toboggan puis une toupie. Cet objet hybride – entre l’outil, le jouet et l’agrès – n’est pas sans rappeler les trois fauteuils à bascule d’Après-midi, qui permettaient aux interprètes de passer d’un état de corps à un autre.

 

Au-delà de ces imposants agrès suspendus, la piste de Vita Nova est régulièrement investie d’accessoires insolites. Après le prologue du spectacle, une grosse bobine roule sur la scène : un artiste y a enroulé son corps, en lieu et place du câble attendu. Peu de temps après un numéro de jonglage, un grand balai glisse de mains en mains sur la piste. Un mannequin est à l’origine d’un étrange pas de deux. Une grosse quille vient parfois entraver les déplacements de certain.e.s interprètes… C’est alors à Oscyl que l’on songe, même si ce spectacle a été créé 18 après Vita Nova !

 

 

 

 

Fig.1 Héla Fattoumi et Eric Lamoureux, extrait de la captation
Fig.2 Héla Fattoumi et Eric Lamoureu, Après-midi , 1991 courtesy Art Danse Bourgogne. Source de l'image : https://www.paris-art.com/apres-midi
Fig. 3 Héla Fattoumi et Eric Lamoureux, extrait de la captation

 

 

UN RAPPORT CHORÉGRAPHIQUE AUX DISCIPLINES CIRCASSIENNES

 

Créés spécialement pour le spectacle, ces éléments scénographiques permettent aux étudiant.e.s d’expérimenter de nouvelles gestuelles. Tout se passe comme s’ils poursuivaient leurs recherches sur les agrès plus traditionnels. Si certains numéros sont attendus, la façon dont ils sont exécutés l’est beaucoup moins.

Dans Vita Nova, notre perception de l’espace est entièrement bouleversée. C’est au sol que Mathieu Prawerman jongle avec trois massues. C’est sous le fil que cinq étudiantes se placent pour effectuer une chorégraphie collective.

Dans Vita Nova, notre appréhension du collectif est troublée. En début de spectacle Mélissa Von Vépy et Gaétan Lévêque proposent un duo trapèze/trampoline : de part et d’autre de la piste, les balancements de l’un semblent répondre aux rebonds de l’autre. À mi-spectacle, on assiste à un quintet sur trampoline-mur. Après plusieurs rebonds en chœur sur le trampoline, les étudiants se propulsent individuellement sur le mur, où ils s’installent les uns à la suite des autres et les uns à côté des autres. Le dernier a du mal à trouver sa place. Après avoir été divisé en deux entités (quatre d’un côté et un de l’autre), le groupe se reforme : dans un flux continu, les cinq artistes passent du trampoline au mur et du mur au trampoline, avant de se retrouver en ligne devant leur agrès, en fin de numéro. En fin de spectacle, on découvre un trio sur trapèze, véritable innovation circassienne qui ressemble à un bouquet final. Chloé Moglia, Marc Pareti et Marlène Rubinelli-Giordano évoluent entre deux trapèzes en réalisant des figures particulièrement périlleuses ou se balancent à trois sur un trapèze à treize mètres du sol.

 

Le spectre de la chute parcourt l’ensemble du spectacle, traverse les différentes disciplines choisies par les étudiant.e.s comme spécialités. Si elle est intrinsèquement liée au cirque, elle fait également partie du vocabulaire chorégraphique des Fatlam, connus pour leur « danse verticale » composée d’exploits à cinq mètres du sol et d’un leitmitiv gestuel nommé « la crêpe » qui consiste à se retourner et à retomber sur le sol dans une horizontalité parfaite.

 

Fig. 4 Héla Fattoumi et Eric Lamoureux, extrait de la captation
Fig. 5 Héla Fattoumi et Eric Lamoureux, extrait de la captation
Fig. 6 Héla Fattoumi et Eric Lamoureux, extrait de la captation
Fig. 7 Héla Fattoumi et Eric Lamoureux, extrait de la captation

 

 

 

UNE STRUCTURE DE CIRQUE TRADITIONNEL INFLUENCÉE PAR LA DANSE CONTEMPORAINE

 

Pour créer le spectacle de fin d’études de la 11e promotion du CNAC, Eric Lamoureux et Hela Fattoumi se sont appuyés sur la structure du cirque traditionnel (succession de numéros qui montent en puissance au fil du spectacle), mais y ont ajouté leur grain de sel de danseur.se.s  contemporain.e.s. « Dès le début, il n’était pas question de séparer la danse des numéros de cirque. Nous avons essayé de tramer les deux langages pour un produire un autre, inédit[iii] ». Vita Nova commence par une sorte de prologue chorégraphié (à moins qu’il ne s’agisse d’une chorégaphie-prologue). Les treize étudiant.e.s entourent la piste. La lumière et la musique montent progressivement jusqu’à atteindre une intensité qui déclenche le mouvement. Un étudiant entre en courant dans le cercle, il effectue des tours sur lui-même, vient se placer devant certain.e.s de ses camarades qu’il regarde dans les yeux, se suspend un moment au plancher courbe, court sur le mur du trampoline comme s’il s’agissait d’une rampe de lancement, passe sous le fil de fer… Quand il rejoint la ronde, un.e de ses camarades prend sa place sur la piste et propose de nouveaux mouvements, qui lui sont propres. Les solos laissent place à des duos puis à des trios. La musique est très rythmée, les beats sont puissants, l’énergie est communicative. Progressivement, l’intégralité de la promotion investit l’ensemble de l’espace circassien (le sol et les agrès) dans une vitalité joyeuse. Vita Nova peut commencer !

 

Le prologue dansé est marqué par une alternance d’accélérations et de ralentis que l’on retrouve tout au long du spectacle. Avec Vita Nova, Eric Lamoureux et Hela Fatoumi ont amené les étudiant.e.s de la onzième promotion du CNAC à travailler sur leur rapport au rythme et à la prouesse. Si leur spectacle est construit sur une succession de numéro qui montent en puissance, ces numéros ne sont pas sans liens les uns avec les autres et la montée en puissance n’est pas linéaire. Les interprètes s’accordent des moments de pause et de recherche. Sur son fil situé à seulement 1,70m du sol, Chloé Duvauchel hésite à avancer, s’assoit pour réfléchir, essaye de nouvelles figures. « La proximité du sol permet de relier l’acrobatie à la danse. Plus que la performance acrobatique, ce qui m’intéresse c’est de travailler le mouvement[iv] ». Pendant son numéro de fil de fer qui devient danse expressionniste, sept de ses camarades mènent une recherche similaire, au sol. Ils essayent différents enchaînements de mouvements pour passer de la position allongée à la position assise puis debout. Parfois ils tombent et doivent recommencer. La lumière est douce, propice à cette recherche. Un peu plus tard, dans une quasi-pénombre, Luciane Viva Costa s’enroule puis se déroule dans ses tissus aériens, se laisse tomber puis se rattrape… tandis qu’une autre étudiant.e cherche à apprivoiser l’étonnant assemblage de tubes tordus, véritable « agrès non identifié ». Dans Vita Nova, les artistes ne sont pas forcément dans l’éblouissante exécution de ce qu’ils connaissent voire maîtrisent déjà. Ils peuvent solliciter leur corps autrement que dans un but d’efficacité et de rendement. Parfois, ils semblent chercher leur chemin – ou un nouveau chemin. Eric Lamoureux et Hela Fatoumi montrent que ces explorations sont dignes d’intérêt puisque les étudiant.e.s s’observent les un.e.s les autres, parfois de façon discrète depuis un tonneau suspendu dans les airs, un plancher courbe, un mat ou bien une balançoire. Mêmes quand ils se succèdent, les numéros se répondent. Avec Vita Nova, c’est une sorte de chemin de vie qu’Hela Fatoumi et Eric Lamoureux proposent aux spectateurs/trices, une espèce de voyage entre la prouesse et la faiblesse, entre l’énergie et le repos, entre l’enfance et l’âge adulte, entre la solitude et le groupe…

 

 

 

L’HISTOIRE DES RELATIONS ENTRE LE CIRQUE ET LA DANSE ?

 

Si Vita Nova invite au voyage, le spectacle des Fatlam parle aussi d’amour. Dans leur duo trapèze/trampoline, Mélissa Von Vépy et Gaétan Lévêque convoquent des figures d’amants éternels (Pyrame et Thisbé, Tristan et Iseult, Roméo et Juliette…) qui, séparés sur Terre, cherchent à se rejoindre dans les cieux. Lorsque les interprètes s’installent dans des éléments scénographiques suspendus dans les airs, on pense au personnage de Côme dans Le Baron Perché d’Italo Calvino, et à son impossibilité de vivre avec Violette, qui trouve son mode de vie trop excentrique. Posé au sol, le plancher suspendu devient bascule et permet aux corps de se rapprocher et aux premiers émois de naître. Parfois c’est avec un élément scénographique qu’une relation semble s’établir, comme le prouve l’étudiant qui enroule son corps dans une bobine de câble vide, comme s’il s’en emparait amoureusement. Vita Nova expose, par tableaux successifs, la diversité des combinaisons amoureuses, dont certaines peuvent paraître étranges.

 

Fig. 8 Héla Fattoumi et Eric Lamoureux, extrait de la captation

 

 

Peut-être peut-on y lire une métaphore des relations entre cirque et danse, deux disciplines artistiques qui s’attirent autant qu’elles se repoussent. Une chose est sûre, orchestré par Héla Fatoumi et Eric Lamoureux leur mariage a donné naissance à un beau spectacle, qui a fortement marqué les étudiant.e.s qui y ont participé. Lorsque, 18 ans après Vita Nova, Gaëtan Levêque, Chloé Duvauchel, Marlène Rubinelli-Giordano – fondateurs/trices du collectif AOC (Artistes d’Origine Circassienne) – sont appelés à mettre en scène le spectacle de fin d’année de la 18e promotion du CNAC, ils choisissent de l’appeler Vanara, qui sonne comme un écho à leur premier spectacle commun.

 

Marie Astier

 

[i] cité par Ariane Bavelier, Figaroscope.

[ii] cité par Philippe Noisette, Danser, décembre 1999.

[iii] Éric Lamoureux cité par Mathieu Oui, L’Étudiant, janvier 2000.

[iv] Chloé Duvauchel, idem.

 

La capatation intégrale du spectacle est disponible sur le site de Numeridanse : https://www.numeridanse.tv/videotheque-danse/vita-nova

 

L'équipe artistique et technique

Mise en scène & chorégraphie  : Héla Fattoumi et Eric Lamoureux Assistance à la chorégraphie : Jean-Antoine Bigot Interprétation : Cholé Duvauchel, David Ferrasse, Thanh Dinh Huynh, Vân Anh Lê Trân, Gaëtan Levêque, Chloé Moglia, Marc Pareti, Mathieu Prawerman, Marlène Rubinelli - Giordano, Osmar de Souza Pedro, André Mandarino, Luciane Vivas Costa, Mélissa Von Vépy Scénographie : Raymond Sarti Lumières : Xavier Lazarini Costumes : Sandrine Pelletier assistée de Sabine Laroussinie Décors : Construction du décor Compagnie des Bais douches et atelier du CNAC - Peinture du tapis Corine Fulconis Son : Bande son Christophe Sechet

 

 

 

 

Publié dans Scénographie

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