Le Grand C de la compagnie XY 2009 et la reprise de répertoire Le Petit C en 2014
-
Createdsamedi 30 mai 2020
-
Created byTechnique
-
Last modifiedsamedi 30 mai 2020
-
Revised byTechnique
-
Favourites55 Le Grand C de la compagnie XY 2009 et la reprise de répertoire Le Petit C en 2014 /index.php/content_page/16-scenographie/55-le-grand-c-de-la-compagnie-xy-2009-et-la-reprise-de-repertoire-le-petit-c-en-2014Cliquez ici pour vous abonnez
-
Categories
-
Mots-clés
Le Grand C de la Compagnie XY 2009 et la reprise de répertoire Le Petit C en 2014
« Le choc inoubliable s’intitule Le Grand C. Apparu au firmament des arts de la piste en 2009, il rassemble dix-sept acrobates sur un plateau vide qui se couvre bientôt d’architectures humaines dont la verticalité fragile bouleverse tous les baromètres intérieurs. [1] »
Fondée en 2005, la compagnie XY crée des spectacles uniquement appuyés sur la technique des portés acrobatiques et de la banquine. Le grand nombre d’interprètes permet de créer d’impressionnantes colonnes humaines, tandis que les poids plumes s’envolent à travers la piste. Dans Le Grand C, créé en 2009, pas de scénographie, pas de décor : seulement des corps qui s’empilent en chantant des ritournelles. Étudier ce spectacle, c’est comprendre comment les corps, les portés et les projecteurs composent et recomposent sans cesse un espace. Reprendre Le Grand C avec la 27ème promotion du CNAC constitue alors un défi. Les différentes spécialités de la vingtaine d’interprètes de la reprise doivent être intégrées au spectacle : cadre aérien, bascule, mât chinois, sangles, corde, mât indien. Nommée Le Petit C, la reprise conserve une atmosphère de carrousel acrobatique, en lui apportant une nouvelle dynamique.
Un espace vide
Le Grand C ne possède pas de scénographie, au sens où le spectacle ne joue pas dans un décor construit pour l’occasion. L’idée est plutôt d’habiter un espace vide. En 2009, les portés constituant l’unique discipline des interprètes, aucun agrès ne découpe l’espace. Une petite bascule sert à propulser des voltigeurs, mais elle n’apparaît que brièvement et est clairement considérée comme un simple auxiliaire de jeu. La piste est nue, recouverte de tapis de danse noirs. Plus qu’une défense de la sobriété, c’est la mise en valeur de la discipline qui apparaît. Pour évoluer sur la piste et réaliser toutes les pyramides et colonnes, le groupe a besoin d’espace, soit d’un dégagement total du sol et des airs. Au sein de cet espace vide, les portés constituent le contenu et la forme du spectacle. Les corps s’empilent jusqu’à construire de véritables architectures, des « totems[2] » humains.
En se projetant en l’air et en se déplaçant ensemble, les interprètes dessinent des trajectoires. Les différentes séquences du spectacle sont ainsi autant de rapports à l’espace.
« Le réalisme importe peu au cirque où la figuration masque en secret un art abstrait. Les lois de la balistique y règlent les trajectoires sur lesquelles glissent acrobates et figures jonglées, tandis que la gravité centre les postures de l’équilibriste résistant au mouvement.[3] »
Les formations acrobatiques sont alors des éléments essentiels d’organisation de l’espace : les lignes, les colonnes et les regroupements par grappes des interprètes donnent ses dimensions à la scène. Au début du spectacle, un rondin de bois est placé à la verticale au centre de la piste et plusieurs interprètes viennent tour à tour se mettre debout dessus. Faiblement éclairé, l’espace scénique se résume à une ou un seul acrobate. Peu à peu, d’autres personnes viennent habiter le plateau et la lumière s’élargit avec eux : le nombre d’interprètes et les séquences de déambulation où tous sont présents produisent une forme d’étalement horizontal. Les colonnes à deux, trois ou quatre artistes provoquent quant à elles une brusque extension de l’espace vers le haut et tracent des axes verticaux. La technique de la banquine (plusieurs porteur.euse.s propulsant un.e voltigeur.euse) crée des groupes compacts en rassemblant des interprètes en un point, soit autant de points de repère pour les yeux des spectateur.trice.s. Les mouvements du groupe contribuent enfin à modifier la centralité de l’espace, son orientation et sa graphie : élévation sur un côté, cercle et tournoiement de tous, mouvement centrifuge… Le Grand C n’est pas un spectacle aussi réglé et graphique que le récent Möbius (création de 2019 en collaboration avec le chorégraphe Rachid Ouramdane), mais la construction dramaturgique du spectacle n’est rien d’autre que la recomposition perpétuelle de l’espace par les corps qui grimpent les uns sur les autres. La compagnie XY s’est développée dans ce sens, notamment avec des projets in situ dans différentes villes et quartiers, nommés les Voyages. Les acrobates s’empilent, s’étagent et bâtissent des configurations humaines en accord avec l’architecture du lieu où s’implantent les Voyages. Les formations acrobatiques sont pensées à la fois comme constructions et comme rapports dynamiques à l’espace, c’est-à-dire comme architecture vivante.[4]
Le rondin de bois du Grand C est alors un accessoire qui soutient ce rapport à l’espace. Au début du spectacle, il est un poteau sur lequel viennent se dresser les interprètes. Il marque le centre de la piste et l’espace de jeu se développe peu à peu autour de lui. Les interprètes commencent par grimper sur un objet promontoire, avant que le rondin ne laisse place à des arbres et des vagues uniquement constitués de corps. Lorsqu’il réapparaît plus tard dans le spectacle, le rondin est un élément ludique, déplacé et échangé entre les acrobates qui montent très vite dessus, chacun.e à leur façon. Entre scénographie et accessoire, le rondin est le point de départ d’une construction ludique et dynamique de l’espace.
Cadre carré
Les portés ne sont cependant pas le seul facteur d’organisation de l’espace scénique, dans la mesure où les corps sont mis en lumière et s’assemblent au sein d’une zone de jeu spécifique. Le Grand C joue sous chapiteau, sur une piste entourée de tous les côtés par le public. Néanmoins, l’espace de jeu n’est pas rond. Il s’agit d’un carré, délimité par un cadre de projecteurs disposés au sol sur platine. Dans la version de 2009, les projecteurs au sol sont suppléés par une rangée de rampes lumineuses. Tous sont tournés vers l’intérieur, orientés légèrement vers le haut. Dès que les projecteurs au sol sont allumés, le public voit directement briller les ampoules des projecteurs qui lui font face. Les projecteurs forment ainsi une limite matérielle de l’espace de jeu pour les interprètes, mais également une limite visuelle très nette de l’espace scénique pour les spectateur.trice.s.
Ils deviennent alors des outils scénographiques : ils agissent comme des éléments graphiques de composition de la scène et de son sens. L’utilisation de projecteurs tournés vers les yeux du public fait en partie disparaître ce qui se trouve derrière le projecteur, par un effet d’éblouissement. Un.e spectateur.trice aura donc du mal à apercevoir le public situé sur les gradins de l’autre côté de la piste. Plus ou moins fortement éclairée, la zone de jeu tend alors à devenir un univers autonome, un espace à part entouré d’ombre. Le public est face à un univers fictionnel, qui n’est pourtant rien de plus que le plateau lui-même : la piste et ses projecteurs.
L’éclairage provenant du dessus de la piste complète l’ensemble en créant des encadrements multiples. Dans de nombreuses séquences, la part d’ombre qui demeure sur le plateau permet aux interprètes de disparaître, de jouer d’effets de premiers plans et de faire des positionnements des corps l’unique élément existant sur scène. Cependant, des douches lumineuses réalisent également une large bordure qui structure la scène pour toute une partie du spectacle. Ce carré lumineux fonctionne comme un encadrement de tableau : circonscrire et mettre en valeur.
Il ne s’agit jamais d’enfermer les interprètes, qui circulent sans cesse sans se préoccuper des limites du cadre, mais de souligner la géométrie des formations acrobatiques. La spatialité lumineuse crée un environnement à la fois géométrique et changeant, solide mais éparpillé, à l’image des portés qui naissent au milieu d’un flux déambulatoire. En termes de narration, la présence d’un interprète resté au centre d’un cadre qui vient de se vider est tout de suite signifiante pour un.e spectateur.trice : le cadre permet de donner corps à la solitude du personnage et à son isolement soudain, devenant un espace de signification et de narration. Les encadrements imbriqués constituent une scénographie dans laquelle jouer.
Reprise de répertoire
Première partie : reprise du cadre
Lors de la reprise en 2014, les projecteurs au sol sont moins nombreux. Le principe du cadre carré demeure pourtant, sous forme de lignes plus découpées. Orientés directement vers le sol et disposés aux quatre angles de l’espace scénique, des projecteurs dessinent de fins traits lumineux au sol : naît un cadre en accord avec les multiples lignes tracées par les longes et les agrès de cette nouvelle version du Grand C.
Les tapis de danse noirs ne recouvrent pas l’intégralité de la piste du cirque en dur de Châlons-en-Champagne. Ils laissent apparaître une bordure grise extérieure lorsque la piste est largement éclairée. Sur les tapis eux-mêmes, une bordure est tracée en pointillés et donne des repères. En 2009, ce marquage était réalisé avec du scotch, de manière moins visible. La géométrie de l’espace demeure.
Seconde moitié : l’espace des agrès
Le spectacle a pourtant largement évolué, avec l’ajout de nombreux agrès. L’espace en est complètement modifié dans la deuxième partie du spectacle. Il est plus ouvert et plus éclairé, afin de mettre en lumière les agrès utilisés. Ceux-ci modifient les dimensions de la scène et son organisation. Le mât chinois grimpe vers le cadre aérien qui fait exister les hauteurs de manière tangible, tandis que la bascule impose sa présence et la grande dimension de ses tapis de réception. La piste s’ouvre, en pleine expansion.
La modalité d’occupation de l’espace change en conséquence. Le passage, la fluidité du passage et la perpétuelle recomposition des groupes n’est plus seulement due à une déambulation sur le sol. L’espace est arpenté en verticale. Le principe des colonnes et des architectures humaines de la compagnie XY impliquait déjà une perpétuelle hauteur et la création d’axes verticaux, mais ceux-ci sont désormais appuyés sur des objets. Les agrès découpent ainsi l’espace avec une multiplicité de nouvelles lignes : mât, sangles et corde à la verticale, auxquels s’ajoutent les diagonales des haubans. Les agrès ne sont pas seulement installés et désinstallés. Ils sont mis en lumière et construisent un environnement scénographique.
Participation des agrès à l’esthétique générale
Même s’ils dessinent un espace tout à fait nouveau, les agrès s’intègrent pourtant à l’univers construit depuis le début du spectacle et déjà présent dans Le Grand C. Les costumes sont majoritairement rouges et noirs, avec des robes pour les filles, tandis que les colonnes humaines tournoient et que résonne la chanson Les Boîtes à musiques. La dramaturgie repose quant à elle sur les figures acrobatiques, montées toujours plus haut, et sur l’impressionnant des portés. Le cirque traditionnel est très présent, à travers ces exploits aussi bien que dans la couleur rouge des costumes. Cette évocation du cirque traditionnel est cependant dépassée par l’atmosphère propre au spectacle et à la compagnie, dans laquelle elle est incluse – Le Grand C a des airs de bal musette et de carrousel : « la gavotte exquise du temps passé[5] ». Les chansons des années 1950 donnent le ton. Les couleurs des agrès s’y intègrent parfaitement : les tapis de la bascule forment un grand aplat rouge en accord avec les costumes. Les mâts constituent autant d’axe de manège : les deux acrobates du mât chinois laissent leur corps s’enrouler et tournoyer autour de la barre jusqu’à atteindre le sol. Un mât indien est également installé au milieu du Petit C, s’imposant comme un véritable agrès-scénographie.
La structure du mât indien ressemble à un axe de manège. L’agrès intervient dans la scène de valse : les interprètes se croisent deux par deux, autour du mât, en se tenant les mains, à la manière d’une danse traditionnelle et d’un bal populaire dynamique. Puis tous forment un cercle autour de l’agrès, suivant le diamètre du cercle de lumière qui éclaire la piste. Le bal et le manège ne sont jamais directement représentés, mais ils sont l’univers de référence dans lequel les acrobaties insèrent leur propre rythme et leur propre dynamique. La séquence des sangles conforte cette impression d’ensemble, en étant encore plus claire. Les deux sangles blanches tirées depuis le plafond forment à nouveau l’axe du manège, avec l’interprète en suspension, les diagonales des haubans en bordure de pistes et le tournoiement des colonnes à deux en un cercle parfait. Les agrès du Petit C donnent corps à l’atmosphère suggérée en 2009 dans Le Grand C, avec une nouvelle fraicheur.
Par leurs caractéristiques matérielles mais aussi par leur positionnement dans l’espace, les agrès s’intègrent ainsi à une dramaturgie d’ensemble. Outre le ton, l’ambiance de l’univers, ils retrouvent également la logique du flux et de la déambulation. De manière significative, la bascule n’est pas installée au centre de la piste mais sur le côté. Le choix de cette place s’explique par des raisons pratiques, puisque les interprètes sont plus en sécurité pour sauter s’ils ne se trouvent pas sous le cadre aérien et dans les haubans du mât chinois. Cependant, il répond aussi à un enjeu dramaturgique. Une séquence n’est pas exclusivement dédiée à la bascule, et elle laisse toute une partie de la scène libre pour d’autres acrobaties. Les sauts de bascule reviennent plusieurs fois, au sein d’une longue séquence où plusieurs agrès sont mobilisés. Cette scène est totalement nouvelle, par rapport au Grand C dans lequel n’apparaissaient pas d’agrès, mais elle correspond au rythme du spectacle original : le spectacle fonctionne sur une logique de l’exploit et de l’impressionnant, mais avec une multiplicité de courtes images, reliées de manière fluide.
Fiche spectacle
Titre : Le Grand C
Date de création : 2009
Compagnie : Cie XY
Création collective : Abdeliazide Senhadji, Airelle Caen, Anne de Buck, Antoine Thirion, Aurore Liotard, Caroline Le Roy, Denis Dulon, Emilie Plouzennec, Eve Bigel, Federicco Placco, Guillaume Sendron, Héloïse Bouillat, Maxime Pervakov, Michaël Pallandre, Mikis Minier-Matsakis, Romain Guimard, Thibault Berthias, Tomàs Cardus
Regard complice : Loïc Touzé
Création lumière : Vincent Millet
Création musicale : Marc Perrone
Création costumes : Marie-Cécile Viault, assistée de Géraldine Guilbaud
Régie générale, lumière et son : Vincent Folcher et Vincent Millet
Aide acrobatique : Mahmoud Louertani
Reprise de répertoire
Date de reprise : 2014, sous le titre Le Petit C
Lieux de représentation : CNAC, Cirque Historique, Châlons-en-Champagne ; Salle Bernard Turin, Auch
Encadré par : Cie XY
Avec les 19 étudiants de la 27ème promotion du CNAC :
Félix Carrelet, Cathrine Lundsgaard Nielsen, Dimitri Rizzelo, Catarina Rosa Dias, Lucas Struna, Gabi Chitescu, Garance Hubert Samson, Lucie Roux, Léa Verhille, Anaïs Albisetti, Pedro Consciencia, Florian Bessin, Simon Cheype, Antoine Cousty, Hugo Moriceau, Lluna Pi, Voleak Ung, Vincent Briere, Morgane Bonato
BIBLIOGRAPHIE ET DOCUMENTS TECHNIQUES
Captations vidéo
Compagnie XY, Le Grand C, Captation vidéo du spectacle, 1h.
Compagnie XY et Raoul Bender, Le Grand C, reprise de répertoire par la 27ème promotion du CNAC, Captation vidéo du spectacle, CNAC Cirque en dur, Châlons-en-Champagne, CNAC Centre National des Arts du Cirque, février 2014, 55min.
Article
Boisseau Rosita et Christophe Raynaud de Lage, « XY », dans Le cirque contemporain, Lyon, Nouvelles Éditions Scala, 2017, p. 53-57.
Goudard Philippe, « Imaginaires du cirque », sur Encyclopédie des arts du cirque BnF/CNAC, en ligne : https://cirque-cnac.bnf.fr/fr/imaginaires-du-cirque.
Documents techniques
« Convention CIRCA/CNAC », Document technique CNAC, 2014. Avec fiche technique du spectacle en annexe.
« Fiche technique - Adaptation technique pour la reprise du Grand C », Document technique CNAC, 2014.
[1] R. Boisseau et C. Raynaud de Lage, « XY », dans Le cirque contemporain, Lyon, Nouvelles Éditions Scala, 2017, p. 53-57
[2] Id.
[3] P. Goudard, « Imaginaires du cirque », sur Encyclopédie des arts du cirque BnF/CNAC, (en ligne : https://cirque-cnac.bnf.fr/fr/imaginaires-du-cirque)
[4] Le travail corps/architecture en milieu urbain peut se décliner sous plusieurs formes, dont les Voyages font partie. Ils constituent une expérience de la ville qui rappelle celle de l’autrichien Willi Dorner. La performance Bodies in Urban Spaces chorégraphiée par ce dernier a eu lieu à Montpellier dans le cadre de la ZAT, Zone Artistique Temporaire. L’esprit en est cependant différent. Les circassiens menés par Willi Dorner, revêtus de survêtements colorés, se glissent dans les interstices d’un environnement urbain, l’explorant comme une contrainte et le donnant à voir d’une nouvelle manière : les corps des artistes s’emboîtent sous les rambardes, s’empilent et se compilent dans les encadrements de portes, réalisant un véritable parcours. Les corps deviennent des briques colorées du paysage, surprenantes. Les artistes de la Cie XY forment plutôt des architectures humaines. Ils réalisent des pyramides ou exploitent la technique de la banquine pour investir un espace et se mêler à l’environnement urbain, tout en impliquant la population et en portant les habitants. XY cherche à développer une « architecture sensible », liée au corps humains et au rapport des habitants à la ville plus qu’au parcours architectural lui-même. « Notre intention est de prendre dans nos bras la gravité de l’autre, pour l’inviter à un bouleversant voyage dans ses mémoires. », précise le dossier de création.
Voir https://zat.montpellier.fr/zat1-antigone et http://www.ciexy.com/les-voyages/ .
[5] Les Frères Jacques, Les Boîtes à musique, 1956
Etude réalisée par Esther Friess